mercredi 27 juillet 2016

Ondes de choc

Juin 1994, dans une petite école polyvalente au nom qui va rester bien connu même annyme. À quelques minutes du dernier cours en avant-midi, l'atmosphère est décontractée, le vieux professeur et ses étudiants remballent leurs effets avant de se diriger à la file de la cafétéria. Dernière journée de cours. Quelques voyous nonchalants s'en prennent à moi, un - bientôt - ex-confrère de classe. L'échange de railleries étant plutôt inégal, le chef de bande ne supporte pas qu'on lui réponde par quelque jeu de rhétorique. ses suppôts non plus. Mais je m'assume quand même.

Ce fameux éphèbe, avec toutes les taches possibles à son dossier, ne supporte toujours pas l'opposition, ne serait-ce que pour le taquiner sur ses gouts musicaux. Commençant à m'invectiver, me pousser, j'agrippe son Tee-shirt affichant je ne sais plus quelle hérésie populaire du moment, qu'il déchire à force de gesticuler pour me maitriser. En position de force, ses droites m'atteignent, nous reculons, ma tête frappe un pilier en béton armé entre deux fenêtres du local où nous sommes.

Le titulaire nous arrête, me conduit également avec lui au bureau du secrétariat. J'ai mal à la tête, mon nez saigne abondamment durant le parcours. Avec l'infirmière, je reçois les premiers soins puis perds des forces. Je m'allonge. Durant cet intervalle, je perds des forces, attendant qu'un de mes parents viennent me chercher. J'ai une plaie à recoudre et une cicatrice au cerveau. Dans un moment qui m'est très flou, le grand mal m'a pris. Je m'endors, n'ayant plus de forces. Ma mère arrive et est mise au fait de la situation. La journée se calme. Peu de difficulté. Je fais mes examens tant bien que mal et pars en vacances.

Le début de l'été a mis toutes ces histoires en dormance. Je restais chez moi et n'avais personne de mon âge à qui en parler. Comme tous les jeunes, les jeux vidéos prenaient une certaine place dans ma vie d'adolescent. J'écrivais pour extérioriser mon mal-être. Et je jouais de la guitare pour ne pas retourner dans un cours d'arts plastiques de Patricia Lapointe, offerts en option. Il n'arrive rien. Jusqu'à ce que la fin aout amène sa catastrophe.

Durant une soirée de jeux vidéos avec ma sœur cadette, après plusieurs minutes de BurgerTime, mon cerveau perd le contrôle. La cicatrice cérébrale faite durant les derniers mois s'était rouverte. Une crise assez profonde m'a fait sortir de moi,  un orage violent venait de réveiller cette zone sensible. Une fois maitrisée après plusieurs minutes, je reviens à moi et vais dormir, la tête en douleur les sens moins contrôlés. J'aurais eu envie qu'on me sorte de moi.

La nuit suivante se passe bien jusqu'aux petites heures, alors que le changement de position ranime l'orage et cette inquiétante céphalée.  Sans un ni deux, nous partons faire la file à Sainte-Justine. Pendant une semaine, le fil se perd, les neurologues tentent de localiser et de maitriser ce qui cause cette tempête dans une tête d'eau. Je suis absent de mes premiers jours d'école en troisième année secondaire. (...)

Mon parcours a été moins chaotique que prévu, ne coulant que l'initiation à la technologie, donnée par un prof bourru, dont l'incompréhension était obvie, prétentieuse et fallacieuse, et bien sûr, mes mathématiques. Les dommages étaient faits. Mes résultats sont devenus plus bas.

 Ma vie était devenue un algèbre à elle seule avec autant, sinon plus de signes que l'alphabet grec.  Il y avait mes cours de guitare et de français pour me mettre plus terre à terre.  Et écrire mes premiers textes. Ma poésie, mes premières chansons. Je me sentais dans mon élément. Je trouvais une bulle que je voulais opaque, à l'abri des fainéants pubères dont la goguenardise avait peu de mesure, impénétrable. Ce qui fut généralement le cas pendant trois ans.

Le niveau secondaire m'a enlevé seulement 8 petits crédits à mon dossier, non sans avoir toutes les misères du monde à obtenir ceux des deux dernières années. J'ai aussi perdu la chance d'être libre de cet infâme mal qui nous prend par surprise.

L'ouverture d'esprit a été difficile par la suite. Le Collège ne comprenait rien à rien de ma situation. Il est vrai que j'aurais dû me déraciner pour faire plus de cours adaptés à ma situation, ce que je voulais vraiment. L'université m'a été salvatrice avec moins d'enjambements pour réussir un programme et des horaire adaptés à ma concentration.

L'épilepsie est assez sournoise. Elle fait le guet. Ses maux de tête sont troublants, sardoniques et séditieux; la concentration est amortie par la catharsis des neuroleptiques. Des erreurs se glissent dans mes copies et recalculent mes notes selon le mode, magistral ou distanciel.  Plus récemment, hélas, la mise à niveau de l'attention s'est réalisée avec un autre traitement.

Le monde du travail demeure quelque peu frileux quant à une situation semblable. Une onde de choc persiste et résonne pendant longtemps. On y voit d'un mauvais œil le possible absentéisme, même dans les milieux plus ouverts à une situation pourtant vécue par 1% de la population. Comme il n'est pas possible ou pensable d'avoir un permis de conduire, le bassin d'employeurs potentiels est réduit et le nombre de domaines aussi.

L'imaginaire du film d'épouvante est mal perçu des gens qui entrent en contact avec nous. Tous les scénarios se construisent et l'assurance ne porte pas loin. La déduction est dubitative et décode les mauvais signaux attribués. De notre côté, l'appréhension devient une rengaine personnelle incomprise qui ne se vide pas comme un sac de sable percé. Le silence enfonce tout au fond de la gorge. La sanction est donnée dès que le trouble neurologique est à découvert. Même invisible, un handicap ne fait jamais aussi peur.

Le plus beau de l'histoire, c'est que cet acteur principal se soit tu dans son tumulte il y a plus de trois ans. Y aura-t-il un autre orage pour le voir surgir?

1 commentaire:

  1. Merci d'avoir livré cet épisode voire cette composante de ta vie. Un 'grand mal' encore bien obscur pour une majorité à laquelle il est étranger. Apprivoiser des ondes de choc d'une pareille ampleur, ça relève d'un labeur quotidien... Mes pensées t'accompagnent.

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